Le libre échange progresse, la faim aussi.
Contre la faim et la pauvreté, défendons l’agriculture familiale et la souveraineté alimentaire
1- 6 millions d’enfants meurent de faim chaque année !
La faim est la forme la plus extrême de la pauvreté et chaque être humain à le droit de se nourrir à sa faim. La déclaration universelle des droits de l’Homme stipule en effet que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux… ». Pourtant aujourd’hui encore, ce droit à l’alimentation est massivement violé.
Le libre-échange progresse…
En 1996, lors du Sommet Mondial de l’Alimentation, la communauté internationale s’était engagée à réduire de moitié le nombre de victimes de la faim dans le monde. Un an plus tôt, cette même communauté internationale créait l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), dont le but est de « favoriser la liberté des échanges afin que le monde soit plus prospère ». En 2001, les Etats membres de l’OMC ont adopté la déclaration de Doha pour le développement qui assure que « le commerce international peut jouer un rôle majeur dans la promotion du développement économique et la réduction de la pauvreté »[1]. Où en est-on 10 ans après la création de l’OMC ?
… La faim aussi !
De 1970 à 1995, le nombre de personnes souffrant de la faim est passé de 918 à 780 millions de personnes. Depuis la création de l’OMC, qui n’est évidemment pas seule responsable, la FAO[2] constate que la faim à repris sa progression. Elle touche aujourd’hui 852 millions de personnes et tue 6 millions d’enfants.
Paradoxalement, la faim frappe d’abord ceux dont le métier est de produire de la nourriture. Sur 5 victimes de la faim, 4 sont des paysans et leur famille, en Afrique, en Asie et en Amérique Latine ! Comment en serait-il autrement ? 44% de la population active mondiale travaille dans l’agriculture. Au Burkina Faso, ce chiffre atteint 85%. Or la libéralisation du commerce international met en concurrence des agriculteurs familiaux des pays du Sud qui travaillent à la main un petit lopin de terre, avec des paysans des pays riches disposant du matériel le plus moderne[3].
Défendons l’agriculture familiale
Si le commerce international peut contribuer au développement des pays du Sud, le libre-échange n’est pas une potion magique capable d’éradiquer la faim et la pauvreté. Pour ce faire, il est prioritaire de protéger et de soutenir les agricultures familiales du Sud. Les droits de l’Homme doivent primer sur les règles du commerce international.
Pourtant, Les pays riches s’obstinent et l’Union Européenne pousse les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) à conclure avec elle des accords libre-échange appelés accords de partenariat économiques (APE). Lucides, les organisations paysannes ouest africaines ont qualifiés ces APE d’accords de paupérisation économique !
2- L’Europe aux paysans du Sud : faites ce que je dis, pas ce que je fais !
Alors que le développement de l’agriculture européenne est largement dû à une Politique Agricole Commune fondée sur la protection du marché intérieur et l’aide aux paysans, l’Union Européenne réduit drastiquement son aide aux agricultures du Sud et pousse les pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) à supprimer leurs protections vis à vis des produits européens… pour leur bien ! Cela n’exonère en rien les responsabilités de nombre de pays ACP qui ne font pas de l’agriculture une priorité et ne sont pas à l’écoute de leur paysannerie.
Effondrement de l’aide européenne à l’agriculture des pays du Sud
C’est un phénomène qui touche tous les bailleurs de fonds : « Alors que la plupart des donateurs et des pays en développement réorientent leurs politiques de développement pour privilégier la lutte contre la pauvreté, on pourrait s’attendre à ce que les investissements et l’aide extérieure soient concentrés sur les pays les plus pauvres, et sur l’agriculture et les autres activités rurales. Cela n’est pas le cas. Par exemple, entre 1988 et 1998, l’aide à l’agriculture a chuté de près des deux tiers en termes réels »[4]. Concernant l’Union Européenne, la part de son aide au développement consacrée à l’agriculture est passée de 25% à 6% entre 1980 et 2000[5].
Pressions pour que les pays ACP ouvrent leurs marchés aux produits européens
La coopération entre l’Union Européenne et les pays ACP est définie dans le cadre d’accords (Accords de Lomé, avant 2000 ; accord de Cotonou depuis 2000). L’accord de Cotonou, qui comporte, comme ceux de Lomé, un volet aide au développement et un volet commercial, introduit un changement majeur : le principe de réciprocité :
- Les accords de Lomé prévoyaient un système de préférence commerciales non réciproques : pratiquement tous les produits ACP pouvaient entrer librement sur le marché européen. En revanche les pays ACP appliquaient aux importations européennes le même traitement qu’aux importations des autres pays du monde.
- L’accord de Cotonou veut mettre en place, via les Accords de Partenariat Economique (APE), un système de préférences réciproques : pour continuer à bénéficier des préférences commerciales européennes, les ACP devront également ouvrir leurs marchés aux produits européens. Il s’agit donc de créer des zones de libre échange entre l’Union Européenne et les ACP.
Les APE sont négociés entre l’UE et les ACP regroupés en 6 nouveaux blocs commerciaux (4 pour l’Afrique, un pour les Caraïbes et un pour le Pacifique).
La réciprocité doit couvrir une part « substantielle » des échanges commerciaux entre l’UE et chacune des 6 régions. Cette ouverture peut être asymétrique. Un des scénarios évoqués prévoit une ouverture à 100% du marché européen et à 80% des marchés des 6 régions ACP. Ces accords doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2008 et leur mise en œuvre progressive s’étaler en principe sur 12 ans.
Les APE suscitent un certains nombre d’inquiétudes :
- Des inquiétudes quant à la pertinence du postulat de base : la libéralisation des échanges contribue « forcement » à l’éradication de la pauvreté. Or, 10 ans après la création de l’OMC, on est très loin du compte. Pourquoi les APE feraient-ils mieux ?
- Des inquiétudes concernant la possibilité, pour les ACP, de négocier en même temps la mise en place d’ensembles économiques régionaux et de négocier la création d’une zone de libre échange entre chaque ensemble régionaux et l’UE. Les APE se négocient entre une Union Européenne qui a près de 50 ans d’existence et 6 unions régionales qui n’existent pas encore !
- Des inquiétudes concernant la capacité des ACP à trouver des moyens compensant les pertes de recettes douanières. Or celles–ci représentent une part importante de leurs budget.
- Des inquiétudes concernant la capacité des ACP de profiter du libre accès au marché européen sans renforcement du secteur productif de ces pays (infrastructures, respect des normes de qualité ou phytosanitaires de l’UE…)
- Des inquiétudes concernant la volonté de l’Union Européenne de dégager des moyens financiers supplémentaires suffisants pour que les APE bénéficient effectivement au développement des ACP. Sans développement de l’aide, comment espérer développer l’agriculture ?
- Des inquiétudes concernant la volonté de l’Union Européenne de mettre un terme à toute les formes, directes ou indirectes, de soutien aux exportations de produits agricoles. Ces exportations concurrencent souvent de manière déloyale les productions locales des pays ACP. Et, malgré cela, l’Union Européenne pousse les ACP à supprimer leurs protections vis à vis des produits européens...
Bien entendu, les ACP ne sont pas contraints à signer des APE. Mais, dans ce cas, certains perdront l’avantage commercial de pouvoir pénétrer sans entrave sur le marché européen. Or l’Europe est souvent le 1er débouché des produits ACP. D’autre part, l’aide européenne au développement sera t-elle aussi généreuse avec les ACP non signataires ? Beaucoup craignent que non . Cela explique pourquoi tous les ACP négocient, mais sans enthousiasme…
L’Europe était-elle obligée de renoncer à accorder des préférences commerciales non réciproques ? Il est vrai qu’elles sont contraires aux règles de l’OMC (principe de non discrimination : il aurait fallu que tous les avantages accordés aux ACP soient également accordés à l’ensemble des pays en voie de développement). Pourtant, comme par le passé, il aurait été possible de négocier une nouvelle dérogation. A présent que les négociations sont lancées, il faut soutenir les pays ACP et leurs sociétés civiles afin de défendre leurs intérêts (limiter l’ouverture de leurs marchés, mise en œuvre de l’accord plus longue et plus progressive…).
3- La campagne « lait : l’Europe est vache avec l’Afrique »
La PAC folle !
Le soutien à la filière lait dans l’Union européenne coûte directement 2.5 Milliards d’Euros par an aux citoyens européens… et pourtant, depuis 1995, l’Union Européenne (15 Etats membres) a perdu la moitié de ses producteurs laitiers soit au moins 600 000 emplois !
Une politique agricole européenne poursuivant des objectifs de qualité des aliments, de maintien d’une agriculture familiale répartie sur l’ensemble du territoire, de préservation de l’environnement… est légitime.
Mais le système actuel est coûteux et ne répond pas à ces objectifs : les paysans engagés dans des démarches techniques respectueuses de l'environnement sont pénalisés pendant que les agro industriels empochent. En France, par exemple, les 25 plus gros bénéficiaires des aides aux exportations se partagent plus de 156 millions d'euros par an !Ces aides, et l'augmentation parallèle de la production européenne au-delà de la consommation intérieure, favorisent des exportations de poudre de lait vers les marchés des pays en développement à des prix défiant toute concurrence. En 2004, l’Union européenne a exporté 291 000 tonnes de lait vers l’Afrique subsaharienne.
Du lait importé au goût amer
« On sait que l’élevage, avec la vente de lait, peut dégager de gros revenus. Mais nous importons beaucoup, plus de 18 milliards de FCFA [soit 27 millions d’euros]. Il faut trouver les moyens, ici, au Mali, de produire et de vendre plus ! ». Modibo Diarra, Fédération des associations de Producteurs laitiers de Djitoumou, Mali
En Afrique de l’Ouest et du Centre, la consommation de produits laitiers est satisfaite à plus de 50% par les importations, cette proportion atteignant plus de 90% dans les grandes villes. Les prix auxquels ces produits sont vendus ne permettent pas de développer une filière locale dont la production pourrait se substituer progressivement aux importations. De plus, les entreprises européennes développent leurs exportations à coup de campagnes de publicité démentielles qui influencent significativement le choix des consommateurs.
Par ailleurs, la négociation d’accords de partenariat économique entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest fait peser une menace supplémentaire sur la production de lait local. Ainsi au Mali, une étude d’impact prévoit une baisse des prix des produits importés de l’ordre de 5%, entraînant un manque à gagner significatif pour la production locale (1).
(1) IRAM : « Etude d’impact des APE sur l’économie du Mali », 2004
En Mauritanie, le lait local a le vent en poupe !
La laiterie Tiviski est née en 1989, dans les environs de Nouakchott, la capitale mauritanienne. En un peu plus de dix ans, elle a acquis la confiance des producteurs et des consommateurs, et collecte actuellement 200 000 litres de lait par jour, fournissant un revenu régulier et intéressant à un millier de familles, et des produits de qualité aux consommateurs urbains !
Une filière en quête d’organisation
Les défis auxquels sont confrontés les producteurs de lait en Afrique ne se réduisent pas à la concurrence des importations. A l’heure actuelle, la capacité de production locale est largement inférieure à la demande des consommateurs. C’est pourquoi les producteurs ont besoin d’être soutenus pour s’organiser, améliorer la qualité de leurs produits et pouvoir les commercialiser.
Ils demandent à leurs Etats de mettre en œuvre de véritables politiques de soutien à la production de lait. L’Union européenne, grâce à l’aide au développement, devrait venir appuyer et encourager ces initiatives. Or depuis des années, la part de cette aide consacrée à l’agriculture est en chute libre.
une campagne pour la souveraineté alimentaire
La souveraineté alimentaire, c’est le droit pour un pays ou un groupe de pays de mener une politique agricole et alimentaire adaptée à ses besoins, sans dommages pour les pays tiers. Ces politiques doivent bien entendu être menées de manière à préserver l'emploi agricole. Elles doivent également garantir un accès de tous aux moyens de production et préserver l'environnement. Cela implique notammentdonc de pouvoir se protéger des importations qui concurrencent la production locale.
C’est pourquoi, nous demandons à la Commission Européenne ainsi qu’aux gouvernements français, belges et luxembourgeois :
- l’arrêt de toutes les formes directes et indirectes d’aide à l’exportation des produits agricoles ainsi que l’élimination des excédents par la mise en place de mesures de maîtrise de l’offre en adéquation avec la demande.
- la reconnaissance et le respect du principe de souveraineté alimentaire. Cela signifie notamment que chaque pays africain doit pouvoir protéger son agriculture. Ce principe doit être pris en compte dans le cadre des négociations en cours d’Accords de Partenariat Economique (APE) entre l’Union Européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).
- lL’augmentation de l’aide de l’Union Européenne et des Etats membres en faveur de l’agriculture des pays ACP et, en particulier, des agriculteurs familiaux. Les projets financés doivent associer de manière effective les bénéficiaires et leurs représentants (organisations paysannes…).
Cette campagne sera lancée en France (octobre 2006-février 2007), en Belgique et au Luxembourg.
[1] Document WT/MIN(01)/DEC/1, 20 novembre 2001, §2
[2]l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture
[3] N’oublions pas également qu’au niveau national, il y a des paysans riches dans les pays pauvre (Brésil, Thaïlande…) et des paysans pauvres dans les pays riches !
[4]FIDA, Rapport 2001 sur la pauvreté rurale, p. 237